D'une très grande famille de Lombardie, sa jeunesse se passe au milieu des lettres, des arts et des courses de chevaux. Cet esthète s'intéresse au cinéma par l'intermédiaire de la décoration. Gabriel Pascal lui propose de participer au tournage d'un film pour Korda, mais l'affaire n'aboutit pas. De Londres, Visconti passe à Paris et devient l'assistant de Jean Renoir pour Les bas-fonds et Une partie de campagne. Rentré en Italie, après un bref séjour à Hollywood, il retrouve Renoir pour La Tosca, film qui sera achevé par un autre réalisateur. Il soumet à la censure italienne, entre autres projets, un travail de Giovanni Verga, très admiré dans les milieux de gauche, et il souhaite l'adapter à l'écran; ce projet est repoussé. En 1942, il parvient pourtant à tourner une adaptation d'un roman de James Cain, Le facteur sonne toujours deux fois. Sous le couvert de dénoncer les pouvoirs destructeurs de la sexualité, Ossessione donne une peinture sans concession du prolétariat. Les autorités fascistes s'émeuvent : le film sera mutilé. Visconti fait route commune avec les communistes et, reprenant un thème de Verga, signe La terre tremble, un véritable documentaire sur la misère des pêcheurs en Sicile. Cette oeuvre devient, avec Ossessione, un manifeste du néo-réalisme, même si le succès dans le genre va plutôt à Rossellini et De Sica. En réalité Visconti a davantage une réputation de metteur en scène de théâtre, montant dans un style très original de nombreuses pièces, de Shakespeare à Sartre. Dans le domaine de l'opéra, ses mises en scène au service de la Callas lui vaudront une réputation internationale. Qui n'a rêvé, parmi les amateurs, de voir monter par lui un opéra de Spontini, Rossini, Donizetti ou Bellini ? C'est ce sens de l'opéra que l'on retrouve dans Senso l'un de ses chefs-d'oeuvre. Sur un sujet de Boïto et une musique de Bruckner, Visconti nous offre, avec le concours de l'opérateur Aldo, une suite d'images d'un prodigieux raffinement où "l'écran devient une scène" (Leprohon) et se trouve traité comme tel dans les séquences finales de l'exécution où, soudain, tout le plateau se vide. "J'ai fait sauter les sentiments exprimés dans Le Trouvère de Verdi par-dessus la rampe, dans une histoire de guerre et de rébellion", affirma-t-il.
Cet esthétisme que soutient une prodigieuse culture et une familiarité avec l'Histoire que Visconti tire de ses origines, on le retrouve dans Le Guépard, d'après un roman de Lampedusa. C'est encore l'unité italienne qui constitue la toile de fond d'une histoire des mutations sociales dans la Sicile du XIXème siècle. Burt Lancaster y est plus italien que nature. Les scènes de bal, malgré leur longueur, rassemblant tous les personnages pour un prodigieux "final", éblouissent par leur extraordinaire richesse.
Si Les Damnés et Louis II sont de splendides fresques historiques qui laissent une impression de froideur (Visconti est plus proche de Verdi que de Wagner) le réalisateur s'est en revanche mis tout entier dans Mort à Venise, d'après Thomas Mann, et dans Violence et passion où Burt Lancaster - toujours lui - compose une saisissante figure de collectionneur, prisonnier d'un monde clos dont les fenêtres donnent, non sur des images extérieures réelles mais sur une Rome recomposée par le décorateur de Visconti. "On m'a souvent traité de décadent. J'ai de la décadence une opinion très favorable. Je suis imbu de cette décadence", déclara Visconti à propos de Violence et passion. Et n'est-il pas significatif que cette oeuvre d'une exceptionnelle richesse s'achève, avec L'Innocent, sur une hommage ambigu à d'Annunzio ?
Jean TULARD (Dictionnaire du Cinéma, Les Réalisateurs, Bouquins)