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Fiche technique :
Film américain de Fritz LANG
Année : 1941
avec Walter PIDGEON (le capitaine Thorndike), Joan BENNETT (Jerry), George SANDERS (Quive-Smith), John CARRADINE (Mr Jones), Roddy McDOWALL (Vaner), Ludwig STOSSEL (le médecin).
Scénario : Dudley NICHOLS, d'après Geoffrey HOUSEHOLD
Images : Arthur MILLER
Musique : Alfred NEWMAN
Durée : 100 mn
Genre : Espionnage
Titre français : Chasse à l'homme |
L'histoire :
Capturé par les nazis, qui l'accuser d'avoir voulu tuer Hitler et d'être un espion à la solde de l'Angleterre, le capitaine Allant Thorndike échappe miraculeusement à la mort et fuit, traqué par les hommes de la Gestapo. Grâce au jeune Vaner, il parvient à se cacher à bord d'un bateau qui part pour l'Angleterre, mais le dangereux Mr Jones, un agent allemand est lui aussi du voyage...
Critique :
Dès l'ouverture stupéfiante du film, le génie de Fritz Lang est évident, et la longue odyssée de Thorndike devient une lutte désespérée entre le Bien et le Mal. Pour cet affrontement Lang a volontairement choisi une atmosphère sombre et, la plupart du temps, nocturne. La forêt du début, les docks londoniens, les ruelles mal éclairées, le tunnel du métro et enfin la caverne où se cache Thorndike servent de décors à un combat impitoyable. Dans sa lutte, il va être aidé par un petit garçon, admirablement joué par Roddy McDowall et par une jeune femme à la moralité douteuse qui deviendront les éléments essentiels de sa survie.
L'interprétation du personnage de Mr Jones, véritable incarnation du mal, par John Carradine, dans un ample manteau sombre, est inoubliable. La rigueur exemplaire de Fritz Lang donne à "Chasse à l'homme" une intensité de chaque instant, transformant une intrigue d'espionnage riche en suspense en une véritable fable morale. Superbe.
André MOREAU (Télérama)
Le premier film antinazi de Fritz Lang. Un thriller sans temps mort qui vaut surtout par les compositions de Sanders, le chef des "méchants" et de John Carradine.
Jean TULARD (Guides films, Collection Bouquins, Robert Laffont)
Chasse à l'homme s'ouvre sur une séquence spectaculaire où un chasseur britannique cadre Hitler dans le viseur de son fusil à lunette. Arrêté par les Allemands, il est jeté du haut d'une falaise, laissé pour mort, mais réussit à retourner en Angleterre. Poursuivi par un réseau d'espions nazis, Thorndike va devoir déjouer les plans de son ennemi mortel, le major allemand Quive-Smith.
La réussite de ce thriller, qui marque le retour de Fritz Lang à l'environnement urbain, à ses terreurs et à sa paranoïa, ne permet pas pour autant à son auteur de se retrouver en position de force à la Fox. Par deux fois, à la suite de désaccords avec Zanuck, il quitte le plateau après deux semaines de tournage, remplacé chaque fois par Archie Mayo : Confirm or Deny, d'après un scénario de Samul Fuller et avec Joan Bennett, puis Moontide, où il dirige Jean Gabin et Ida Lupino.Comme pour ses précédents films à la Fox, - dont le plus personnel Chasse à l'homme -, il a du renoncert à toute participation active à l'écriture du scénario et au choix des comédiens.
Michel CIMENT Découvertes Gallimard
Initialement, le film devait être mis en scène par John Ford qui aurait ainis retrouvé son scénariste Dudley Nichols. Ford y ayant renoncé, Kenneth MacGowan fit appel à Fritz Lang qui déclara régulièrement ne pas avoir travaillé le scénario. Que cette affirmation soit vraie pou non, Man Hunt est l'une des oeuvres les plus personnelles de Fritz Lang qui signe ici, avant Les Bourreaux meurent aussi, The Ministry of Fear et Cape et poignard, son premier film anti-nazi. Tout le film porte lar marque de Lang.
Le début est un moment inoublialble. Une surimpression : "Somewhere in Germany - shortly before the war". Le décor est celui d'une forêt. Un chasseur - veste de velours et chapeau tweed de rigueur - avance, son fusil à la main. Se cachant, il échappe à la vue d'un soldat casqué - un détail surprenant et presque incongru - et se met en position. Il place sa lunette de visée sur son arme, règle la hausse et on découvre alors dans le viseur que sa cible est Hitler en personne. L'homme - Thorndike ' tire et on entend un "clic' : l'arme était vide. Thorndike fait un petit geste de bravade, comme s'il saluait cette cible qui aurait pu être sa victime, et s'apprête à partir. Il se ravise, place une énorme cartouche dans la culasse, vise et, la chute d'une feuille ayant contribué à le faire remarquer, est agressé par une sentinelle.
Ce fulgurant début - tous ceux qui ont vu le film se souviennent du choc qu'a été cette révélation - est d'autant plus frappant qu'il s'agit ici d'une des premières, sinon de la première apparition du Führer dans un film de fiction. Le Dictateur étant bien évidemment à part. Man Hunt montre donc tout à la fois Hitler et prouve qu'il est possible de l'abattre. Chronologiquerment et historiquement, il revêt une importance capitale. L'action commence le 29 juillet 1939, dix mois après les accords de Munich, moins d'un mois avant la signature du pacte de non-agression germano-soviétique. Le film sera quant à lui distribué en juin 1941, quelques jours seulement avant le début de l'opération barbarossa - l'invasion de la Russie -, alors que l'Angleterre et l'Allemagne sont en guerre, depuis près de deux ans, les Etats-Unis se tenant encore officiellement à l'écart du conflit mondial.
Le début montre une Allemagne menaçante avec ses officiers vêtus de blanc et porteurs de monocles - le personnage de George Sanders - et ses gardes nazis prêts à se muer en tortionnaires. La peinture est déjà saisissante, d'autant plus que Lang renforce, par divers détails, l'atmosphère angoissante, préférant jouer sur les ombres et sur ce qui peut se passer hors champ. On remarquera également la présence d'un Saint Sébastien sans doute destiné à apporter une connotation homosexuelle au personnage du major Quive-Smith qui, en d'autres heures, aurait pu discuter d'exploits de chasse à Nairobi avec Thorndike au lieu de la faire torturer. Le fait que Thorndike soit anglais pouvait en effet permettre, en cas d'aveux de sa part, de faire accuser le gouvernement britannique de meurtre et de justifier ainsi une déclaration de guerre.
Encore plus inquiétante est par la suite la description d'un Londres infesté d'agents allemands, infiltrés sur les docks comme dans le métro, ayant noyauté la police comme les postes. Face à des diplomates peu pugnaces - le frère de Thorndike, lord Risborough - et une police plus intéressée à embêter les filles des rues qu'à traquer les agents de la cinquième colonne nazie, les complices de Quive-Smith et M. Jones apparaissent extrêmement compétents et efficaces, bénéficiant de réseaux parfaitement au point. Volontairement, Lang a tenu à développer ce thème afin de montrer à quel point la cinquième colonne peut être un redoutable danger.
Man Hunt donne l'impression que l'Angleterre est en effet infestée de complices des nazis, sans oublier le véritable gag du brocanteur qui se met à parler allemand à un Thorndike surpris et inquiet. Cette fois-là sans raison. Comme dans ses plus grands films, Fritz Lang développe les thèmes des doubles négatifs, Quive-Smith est ainsi l'inverse de Thorndike, un homme que sa passion pour la chasse a, ainsi que le comte Zaroff, conduit sur le chemin de la perversité. De même, ce n'est pas un hasard si M. Jones, devenu Throndike dont il s'est appropréi le passeport, voyage sur le même cargo - mais à un étage différent - que le vrai Thorndike. Quant à Vaner, qu'interprète Roddy MacDowall, il annonce naturellement le John Mohune de Moonfleet. Autant de liens qui tissent entre Man Hunt et les autres films de Fritz Lang des correspondances passionnantes.
La position de Thorndike et le fait qu'il n'ait pas, dès le début, tiré sur Hitler avec une arme chargée ont été l'objet de diverses questions. A Pete Bogdanovich qui lui demande ainsi : "Dans Man Hunt, est-ce que vous pensez que Pidgeon payait pour ne pas avoir tué Hitler quand il avait eu l'occasion, un peu comme l'Angleterre a raté l'occasion de la mettre hors d'état de nuire ?" Fritz Lang répond : "C'est une très bonne question. Peut-être ai-je fait un lapsus freudien - je ne sais pas. Dans la scène, Hitler est juste au mileiu du viseur; Pidgeon tire, le fusil fait un clic mais il n'y a pas de détonation; il n'y a pas de balle dans la culasse. Ensuite - et c'est une chose que j'avais complètement oubliée, mais j'ai revu le film, il y a peu, à la télévision - il ouvre la culasse et y met une balle. C'est alors qu'il se fait arrêter. J'avais complètement oublié cette scène. A vous de psychanalyser le metteur en scène..."
L'évolution de l'intrigue se déroule parallèlement à une prise de conscience de Thorndike qui comprend peu à peu le danger réel que représente Hitler et ses complices. Son propre pays, l'Angleterre, et sa propre ville, Londres, sont déjà envahis par des hommes sans uniformes. La révélation de la mort de Jerry, innocente et héroïque victime, pousse Thorndike à laisser éclater sa colère et sa haine d'Hitler.
Le chasseur du début est à la fin un soldat décidé à tuer. Le commentaire qui termine le film en apporte la preuve : "Et désormais, quelque part en Allemagne, se trouve un homme portant un fusil de longue portée, et doté de l'intelligence et de l'entraînement nécessaires pour s'en servir. Il faudra peut-être des jours, des mois ou même des années, mais cette fois il connaît exactement son objectif".
Deux ans plus tard, Lang racontera dans Les Bourreaux meurent aussi l'assassinat d'un des plus fidèles d'Hitler, Reinhard Heydrich.
Patrick BRION (Regards sur le cinéma américain 1932-1963, Editions de la Martinière)
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