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TRUE CRIME

Fiche technique :
Film américain de Clint EASTWOOD
Année : 1999
avec Clint EASTWOOD (Steve Everett), Isaiah WASHINGTON (Frank Beechum), Lisa GAY HAMILTON (Bonnie Beechum), James WOODS (Alan Mann)
Scénario : Larry GROSS, Paul BRICKMAN et Stephen SCHIFF, d'après le roman d'Andrew KLAVAN
Photographie: Jack N. GREEN
Montage: Joel COX
Musique : Lennie NIEHAUS
Titre original : True Crime
Durée : 122 mn
Genre : Mélodrame


L'histoire :
Reporter à la dérive, Steve Everett est chargé d'enquêter sur Frank Beechum, un Noir condamné à mort pour meurtre. Au fil de ses recherches, Steve est persuadé de l'innocence du prévenu. Mais il ne dispose que de quelques heures pour éviter la mort à son protégé...


Critique de JEAN-MARC LALANNE parue dans Libération

Si lent, si vite. Par un singulier effet papillon, la mort incidente de Michelle va différer celle programmée de Luther. L'Oakland Tribune remplace au débotté la journaliste défunte par un vieux briscard traînant de multiples casseroles, Frank Beechum, érotomane notoire et tabagiste militant (vous aurez reconnu Clint Easwood). Immédiatement, c'est l'irruption d'un chien incontrôlable dans le jeu de quilles judiciaire. Malgré les injonctions de ses chefs à jouer les simples porte-micro, Frank ne peut s'empêcher de fureter dans l'enquête.

Clint Eastwood est parvenu à ce point de maturité dans son art où chaque problème scénaristique se résout instantanément en question de cinéma. Lors d'un entretien informel, un témoin s'inquiète de ce que le journaliste ne prenne aucune note. Sûr de son fait, Frank rétorque qu'il «enregistre tout». Effectivement, Frank Beechum est un magnétoscope. Mais un magnétoscope peu docile qui n'enregistre pas ce qu'on lui demande et se reprogramme à son gré. En se repassant le film de l'instruction judiciaire, il se livre ainsi à quelques opérations de montage. A la mauvaise image, celle du jeune Black tirant sur la caissière que le film montre à plusieurs reprises en flash-back, il n'aura de cesse de substituer la bonne. De la même façon, il imprime au film un double mouvement antagoniste: le ralenti et l'accéléré. Jugé coupable présente cette particularité intrigante d'être entièrement raconté à double vitesse. Frank Beechum dispose en effet de seulement vingt-quatre heures pour refaire tout le chemin effectué piètrement par l'instruction en six ans. Mais paradoxalement, cette accélération se double insidieusement d'un ralentissement.

Jamais le film n'épouse le rythme de la course-poursuite, sinon par à-coups (comme la scène de voitures finale). Il se permet au contraire toutes les digressions et multiplie les crochets intimistes. Comme si le meilleur moyen de gagner du temps était encore de savoir en prendre. Et, dans ces turbulences rythmiques, certains coups d'accélérateur se révèlent malencontreux: l'accident mortel de Michelle Ziegler bien sûr, mais encore cette merveilleuse scène de comédie familiale où Frank essaie de gagner quelques minutes en activant la visite au zoo de sa petite fille et ne parvient qu'à la blesser en la renversant, dégradant un peu plus une relation filiale déjà mal en point.

Dans cette subtile réflexion sur l'élasticité de toutes les durées, Eastwood/Beechum apprend donc à devenir le maître du temps. Face à lui, se déploie le mauvais rythme, métronomique et déshumanisé, des institutions. Jugé coupable est un grand film d'horreur sur les méfaits du professionnalisme. A ce personnage de traîne-savates viré de partout s'opposent des bataillons de fonctionnaires, entérinant un ordre dont ils se déresponsabilisent. On ne compte plus les occurrences de «Je fais mon métier», «C'est mon métier», «Fais juste ce qu'on te demande».Du gardien de prison au médecin qui prépare l'injection létale, du prêtre au rédacteur en chef, chacun se tient dans ses ornières. Face à cette taylorisation des médias, de l'appareil judiciaire, de l'Amérique tout entière, Beechum résiste.

Eastwood s'est progressivement métamorphosé en machine de guerre contre l'Amérique contemporaine, dont il fustige l'hygiénisation galopante (et son personnage de grand baiseur/grand fumeur constitue de façon à la fois comique et naïve une contre-Amérique à lui tout seul). Dans la foulée du précédent Minuit dans le jardin du bien et du mal et sa comédie de procès, c'est l'idée même de justice démocratique qui en prend pour son grade, avec ce credo individualiste que le sens commun a forcément tort et qu'«on ne peut compter que sur son flair».

Même le couplet politiquement correct se voit faire un sort. Alors que l'antienne de la discrimination raciale pointe son nez, dans la lignée du Sergent noir de Ford (le Black comme bouc émissaire commode d'une justice résolument blanche), le dernier mouvement du film opère un retournement inattendu.

Si dur, si bon. Mais heureusement, cette fois encore, les poussées de misanthropie sont rattrapées par des bouffées d'humanisme fécond. Si l'organisation sociale lui répugne, Eastwood rachète chacun des individus qui la composent. Jugé coupable est en cela un mélodrame magnifique, exemplaire dans sa qualité d'écoute de la souffrance humaine et sa capacité d'empathie pour quiconque franchit le cadre (un figurant, un second rôle, un clochard déguisé en père Noël).

C'est un film dur mais accueillant, généreux mais sans illusions. A la fin, au hasard des courses de Noël, le miraculé et son sauveur se retrouvent, mais ne se tombent pas dans les bras. Un petit signe discret de la main suffira, pour un happy end infiniment bluesy. Car, au fond, on ne peut rien partager de durable, et la solitude est toujours devant soi. Mais il fait bon habiter deux heures durant les hautes solitudes de Clint Eastwood.
JEAN-MARC LALANNE


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