Critique :
Depuis les années 60, seuls quelques réalisateurs têtus refusaient de considérer comme définitive la mort du western. Avec quatre films entre 1973 et 1992, Clint Eastwood était à la tête de ces réfractaires. Il annonçait ce regain de faveur qu'Hollywood, toujours en quête de nouveaux " espaces " (...commerciaux), semble aujourd'hui porter à ce genre, qui se confond avec l'histoire et la culture américaines. Avec " Impitoyable ", Eastwood prouve que le western peut toujours être le vecteur d'une réflexion profonde et propose une vision de l'Ouest dépouillée de tout artifice. L'héroïsme n'est que la réponse ultime et dérisoire de quelques fantômes usés, sortis d'un passé jonché de morts. La violence sauvage et sadique est le fait de la loi. Et des populations misérables, condamnées à survivre pour avoir cru pouvoir prendre leur destin en main, traînent une tristesse qui n'a rien à voir avec l'exaltation de la conquête. Désabusé, Eastwood tisse un scénario habile, croque des personnages complexes et déploie une mise en scène majestueuse et intelligente. Et il transforme les plans romantiques et lyriques - images de marque de westerns glorieux - en images impitoyables, regard mélancolique sur un idéal à jamais perdu.
Gérard CAMY, critique parue dans Télérama

Qui peut être à la fois le fossoyeur de la mythologie de l'Ouest et son meilleur garant ? Clint Eastwood. Une fois encore, il renaît en fantôme, traverse l'écran le temps de quelques carnages, puis rejoint l'obscurité. Au début, il n'est que l'ombre de lui-même : un fermier usé, incapable de mettre le pied à l'étrier. Un homme poursuivi par le souvenir de sa femme défunte, mais aussi hanté par des démons auxquels il va céder. Munny est un mort-vivant frappé par la malédiction. Ce n'est pas le seul. Hors-la-loi ou shérif, ici, les cow-boys ont perdu leur innocence.
Dans ce western, tous les personnages sont ambigus, même les femmes, seules traces d'humanité et de noblesse dans ce monde de brutes. Réflexion sur le genre, la violence et la loi, ce western magnifie les paysages sans exalter la moindre conquête. La parole - on s'explique longtemps avant de dégainer - est primordiale. Car c'est l'heure du Jugement dernier, de l'Apocalypse. Ce n'est pas un hasard si le film a des accents fantastiques. Avec ses corps stigmatisés, sa bourgade en feu, Impitoyable nous fait traverser une Amérique désabusée en proie à une violence consubstantielle. Et Clint Eastwood dans tout ça ? Impérial.
Jacques MORICE, critique parue dans Télérama