AKASEN CHITAI


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Fiche technique :
Film japonais de Kenji MIZOGUCHI
Année : 1956
Avec Machiko KYO (Mickey), Aiko MiIMASU (Yumeko), Ayako WAKAO(Yasumi), Michiyo KOGURE (Hanae), Kumeko URBE (Otane), Yasuko KAWAKAMI (Shizuko), Hiroko MACHIDA (Yorie), Eitaro SHINDO (Kurazô Taya), Sadako SAWAMURA (Tatsuko Taya), Toranosuke OGAWA (le père de Mickey), Bontarô MIYAKE (le gardien de nuit), Daisuke KATO (un officier de police).
Scénario : Masashige NARUSAWA, d'après le roman de Yoshiko SHIBAKI
Musique : Toshiro MAYUZUMI
Photographie : Kazuo MIYAGAWA
Montage : Kanji SUGAWARA
Décors : Hiroshi MIZUTANI
Durée : 87 minutes
Genre : Drame
Titre français : La Rue de la honte
Titre anglais : Street of shame



 





L'histoire :
Le quartier de Yoshiwara, à Tokyo. Pendant que le parlement discute d'un projet de loi sur l'abolition de la prostitution, plusieurs femmes en vivent la réalité quotidienne, la plupart contraintes par un destin contraire. Dans cette maison de tolérance, où se croisent des messieurs élégants et d'autres moins, Yumeko loue ses charmes pour subvenir aux frais d'éducation de son fils. Ce dernier, quand il apprend l'activité de sa mère, l'abandonne et se détourne d'elle. Yasumi, quant à elle, désire réunir l'argent nécessaire pour faire libérer son père. Hanae a un mari au chômage, Mickey a été abandonnée par son concubin, un soldat américain, Yorie était traitée comme une esclave par son mari. Toutes rêvent d'échapper à leur condition et de pouvoir quitter la maison de tolérance...




Pour son dernier film, Kenji Mizoguchi peint au vitriol le Japon d'après-guerre.
L'occidentalisation détruit un peu plus des êtres usés, alourdis par une vulgarité nouvelle. Encombré de néons, le quartier des plaisirs est un enfer sans issue. Un racolage brutal, et le temps qui exclut de leur métier des femmes exténuées, installent un désespoir que rien ne peut tempérer. Les fils ont honte de leurs mères, les maris poitrinaires songent au suicide.
La mise en scène n'a jamais été aussi cruelle, aussi précise dans l'atroce. Chaque situation est poussée à l'extrême de son terme. Electronique, la musique devient cri de révolte, dénonçant la misère matérielle et morale de ces femmes, prisonnières d'un système social implacable, que vient ébranler un projet de loi sur la prostitution.

Philippe Roger (Télérama)








La Rue de la honte est une galerie de portraits de femmes qui sont des prostituées du quartier Yoshiwara à Tokyo.
Kenji Mizoguchi fait une étude remarquable, réaliste et violente de la contion de ces femmes ainsi que des situations qui les ont amenées à devenir prostituées. Il en profite pour traiter de l'évolution des moeurs et de celle de la prostitution.
Kenji Mizoguchi évoque la condition des prostituées, tragique tant au présent que dans l'avenir, qui leur interdit à jamais tout espoir de mariage ou de famille à fonder. Kenji Mizoguchi dénonce le projet de loi contre la prostitution, son incohérence et les débats stériles qu'il engendre, montrant bien l'incompétence d'une société à éliminer ou à gérer les maux qu'elle engendre.
Dans la courte et dernière scène, une toute jeune employée est jetée par la patronne sur le trottoir, mais elle ne sait pas comment s'y prendre pour racoler son premier client : il y a plus de violence contenue, plus de tendresse pour l'individu et de haine pour le monde dans les attitudes et les regards de cette employée que dans bien des films à effets, traitant de la condition humaine.
Fait de pudeur et de retenue, le jeu des actrices finit par produire un véritable choc à force de simplicité et de refus de l'effet.

Olivier Gamble (Le Guide des films, collection Bouquins - Robert Laffont)






La Rue de la honte par Jean Douchet

De nos jours. Un projet de loi sur la fermeture des maisons closes entre en discussion au Parlement nippon. Branle-bas de combat chez les tenanciers de ces lieux. Leur manœuvre et leur puissance parviendront à faire écarter le projet.
C’est au cœur même de l’une de ces maisons située dans le quartier réservé, que suivrons les péripéties de la lutte. Maison que Mizoguchi connaissait bien et dont iI nous restitue l’atmosphère quotidienne et quasi familiale avec une vérité étonnante. Nous devenons vite, à notre tour, des familiers et c’est vraiment de l’intérieur que nous vivrons le drame des tenanciers, un mari et femme - de braves commerçants qui exercent leur profession avec bonne conscience et paternalisme - et de leurs cinq ”employées”. Prisonnières de cette maison d’illusions, par faiblesse devant la dureté de la vie elles sont victimes de la réalité qu’est à la fois l’illusion du faux amour dégradant qu’elles vendent et de l’argent dont elles subissent d’autant plus la puissance contraignante que cette fausse valeur est à l’origine de leur état. Mais surtout elles sont victimes du rêve illusoire que toutes entretiennent en elles-mêmes et qui est d’échapper à cette réalité alors qu’en fait et par là même elles la renforcent. Le film est donc l’étude de cinq attitudes possibles face à la réalité mensongère que nous impose la vie sociale qui a pour fondement l’exploitation de l’homme par l’homme, mais attitudes qui cherchent à composer avec cette réalité au lieu de la démasquer.
Il nous suffit donc de prendre successivement le cas de ces cinq femmes - une femme déjà âgée mère d’un jeune homme, une paysanne, une jeune femme cupide, l’effrontée prodigue et enfin l’épouse qui a charge d’un mari tuberculeux et d’un bébé. Il y a d’une part celles - la mère âgée et la paysanne - qui poursuivent un rêve chimérique dont elles sortiront brisées ; celles - la cupide et la prodigue - qui rusent avec leur état en l’assumant complètement ce qui les aliène et enfin la dernière qui refuse de considérer sa condition comme anormale et se ment ainsi à elle-même.
La mère âgée place tout son espoir en son fils. Elle s’est, en effet, prostituée pour pouvoir payer à ses beaux-parents l’éducation de cet enfant qui ignore tout du métier de sa mère. Celle-ci se persuade qu’en bon fils reconnaissant, maintenant qu’il est devenu un homme capable de gagner sa vie, il la prendra à sa charge et la délivrera de son état. Mais le fils qui vient de sa campagne la surprend, sans être vu d’elle, dans l’exercice de son métier. Fou de honte, iI se sauve. Il réussit à s’engager comme ouvrier. La mère cherche désespérément à le contacter et lors de leur rencontre a la douleur de voir un fils qui lui crache son mépris et sa haine au visage. Son rêve s’écroule. Sa raison vacille. Elle quittera, certes, la maison d’illusions mais pour une réalité encore plus terrible : un asile psychiatrique.
La paysanne a été vendue parce que ses parents trop pauvres ne pouvaient la nourrir. Elle entretient une correspondance avec un homme de son village qui la presse de l’épouser. Or grâce à un récent décret; les prostituées sont libérées des dettes contractées envers leurs tenanciers qui permettaient à ceux-ci de les retenir sans fin. La paysanne peut enfin réaliser son rêve. Elle célèbre son départ avec ses compagnes heureuses de voir l’une d’entre elles échapper à leur destin. C’est le triomphe de l’amour sur la sordide réalité. Rêve qui sera suivi d’une cruelle déception : la paysanne reviendra de son plein gré s’enchaîner à cette réalité. Son mari ne l’avait épousée que pour posséder gratuitement une domestique doublée d’une bête de somme. La paysanne s’était trop habituée à la vie facile. Elle n’a pu affronter la vraie vie, dure, inhumaine peut-être mais qui constituait pour elle son unique chance de salut.
La jeune fille cupide appartient à une famille noble mais ruinée. Pour permettre au garçon de continuer ses études et sauver ainsi l’honneur de la famille celle-ci a sacrifié la fille. Puisque l’argent fut la cause de sa servitude elle ne voit de salut que dans l’argent. Elle l’amasse âprement, ne négligeant aucune somme, prêtant à ses compagnes à des taux usuraires, poussant à la ruine ou au vol les hommes assez fous pour s’amouracher de son corps. Elle joue le jeu. Elle sait que sa beauté n’est qu’une illusion, un mensonge qui ne doit servir qu’à tromper les autres. Tout lui est bon pour devenir maîtresse de son destin c’est-à-dire de cette réalité de l’argent dont il lui faut se libérer pour la dominer à son tour. Mais elle ignore que cette réalité est la pire des illusions, qu’en agissant ainsi elle en devient de plus en plus son esclave. Ayant perdu avec tout sentiment et vie affective le sens profond de la liberté elle s’aliène complètement en se faisant l’active servante de cette réalité illusoire de l’argent. Elle entre dans le camp des oppresseurs. Elle ouvre un commerce d’étoffes de luxe, de parures et colifichets qu’elle ira vendre à ses anciennes compagnes. Elle profite à son tour de leur métier qui est de faire et donner illusion par la seule beauté apparente qui renforce sur elles mais plus encore sur elle-même l’emprise de la réalité de l’argent.
A l’opposé mais combien plus lucide donc désespérée est l’effrontée prodigue. C’est en effet, par excès d’affectivité, pour avoir été blessée dans ses sentiments les plus profonds qu’elle exerce cette profession. Elle a fui un foyer désuni par amour pour une mère morte de chagrin après avoir été bafouée, maltraitée, méprisée par un mari débauché qui dissimule sa vraie nature sous le masque de la respectabilité bourgeoise qu’assure l’honorable profession de commerçant. Elle s’est donc prostituée pour venger sa mère et déshonorer son père. Mais plus profondément c’est pour fuir sa propre réalité, pour échapper à une affectivité trop imaginative, trop portée à idéaliser, pour ne pas en être à son tour la victime qu’elle se lance dans cette vie de débauche. Elle n’a pas d’autres issues, en effet, puisqu’elle est incapable désormais de croire en quelque chose de sincère, de durable et de noble (cf. son scepticisme au moment où la paysanne part se marier) que de se réfugier dans l’illusion totale. Elle est finalement la plus logique de toutes ces femmes. Elle est la seule à accepter presque avec joie cette réalité contraignante et sordide qu’elle sait n’être qu’une illusion source de plaisirs faciles, d’amusements fallacieux et éphémères. Elle considère l’argent pour ce qu’il est : le maître de cette réalité qui permet d’en user comme il plait, donc l’illusion suprême.
Enfin l’épouse. Elle vient à son travail comme l’employée à son bureau. Pour elle, la prostitution est un métier comme un autre, le seul qu’elle peut exercer dans un pays surpeuplé au chômage latent, ce qui suffit à justifier à ses yeux son sacrifice. Car c’est par dévouement envers son mari malade et invalide et par amour pour son bébé, bref parce qu’elle a la responsabilité d’un chef de famille qu’elle accepte d’accomplir cette tâche qu’elle sent bien au fond d’elle-même dégradante et qu’elle refuse pourtant de voir telle. De toutes ses forces elle cherche à se constituer une vie qui semble banale, ordinaire et surtout normale. Ne parle-t-elle pas avec son mari des petits potins ; n’invite-t-elle pas ses camarades de travail chez elle pour fêter le mariage de l’une d’elles (la paysanne) comme cela se pratique dans tous les bureaux et ateliers du monde; ses soucis ne sont-ils pas ceux d’une bonne épouse et bonne mère économe uniquement soucieuse du prix des médicaments, du médecin et du lait. Pour tant cette vie confortable sur le plan de la conscience n’est qu’un mensonge même s’il est héroïque. Car ce que tente ce personnage est l’aventure impossible : assumer sa réalité profonde, son aspiration au bonheur intime à partir des valeurs nobles et idéales mais en construisant ce bonheur sur la réalité dégradante et mensongère de l’argent. Il faut qu’à un moment la vérité éclate et révèle que ce bonheur intime était rongé de l’intérieur par le cancer du remords. Un soir, rentrant chez elle, l’épouse découvre son mari pendu. Incapable de surmonter la honte du métier qu’exerce sa femme de par son invalidité ou plus exactement désireux de rejeter sur elle son propre tourment qui le mine, il attend son arrivée pour faire semblant de se pendre. Soudain face à face avec sa conscience la femme revendique hautement, fièrement cette profession qui la désespère mais qu’elle doit faire par nécessité. Elle continuera par orgueil mais nous savons que son rêve est à jamais détruit.
Une fois bouclée l’histoire de ces cinq femmes dont les aventures personnelles s’entremêlent au gré de la vie quotidienne commence une autre histoire, qui les résume toutes, celle d’une petite servante, presque encore une enfant que pour raisons d’argent les tenanciers transforment en prostituée. On la farde, on la pare, être vivant métamorphosé en poupée, être vrai changé en pure apparence. Alors que sous le masque de la beauté artificielle nous percevons encore l’éclat de la pureté, de l’innocence, de la vie nous la voyons faire signe, perdue dans la rue de la honte, à la réalité cruelle du monde de l’illusion qui viendra dévorer, dévaster, anéantir la réalité de son être.

Jean Douchet est un cinéaste français, historien, critique, écrivain et enseignant de cinéma

















La Rue de la honte, de Kenji Mizoguchi - Charles Tesson





Charles Tesson est un critique et historien du cinéma


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