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Fiche technique :
Film américain de David LYNCH
Année : 2007
Avec Laura DERN (Nikki Grace / Susan Blue), Justin THEROUX (Devon Berk / Billy Side), Jeremy IRONS (Kingsley Stewart), Harry Dean STANTON (Freddie Howard), Karolina GRUSZKA (la jeune fille perdue), Jan HENCH (Janek), Krzysztof MAJCHRZAK (le fantôme), Grace ZABRISKIE (la visiteuse n°1), Ian ABERCROMBIE (Henry le majordome), Karen BAIRD (la domestique), Bellina LOGAN (Linda), Amanda FOREMAN (Tracy).
Scénario : David LYNCH
Montage : David LYNCH
Photo : Odd-Geir SAETHER
Décors : Melanie REIN
Son : David LYNCH
Musique : David LUNCH, Krzysztof PENDERECKI, Angelo BADALAMENTI
Costumes : Heidi BIVENS, Karen BAIRD
Maquillage : Michelle CLARK, Duke CULLEN
Directeur artistique : Christina WILSON
Durée : 172 mn
Genre : Drame |
L'histoire :
L'actrice Nikki Grace ne cache pas sa joie lorsqu’elle apprend que le réalisateur Kingsley Stewart l’a retenue pour incarner un rôle principal dans son nouveau film; sans tenir compte toutefois de la mise en garde que lui aura adressée une énigmatique voisine le temps d’une visite impromptue. Le tournage commence et inévitablement rien ne se déroule comme prévu, entre un partenaire très attirant, un mari jaloux et une malédiction gitane qui plane sur le projet...
Critique :
Libération :
En 1977, après cinq années passées à bidouiller avec ses amis Fred Elmes et Alan Splet dans une grange prêtée par l'American Film Institute où ils sont étudiants, David Lynch peut enfin projeter son premier film, Eraserhead, et accompagner ce bébé monstre dans les salles américaines pour des séances de minuit où se masse un public de plus en plus nombreux de fans transis. Trente ans ont passé, Elmes est devenu un chef opérateur renommé, Splet est mort, l'acteur fétiche aux cheveux dressés d' Eraserhead, Jack Nance, aussi, mais Lynch, lui, n'a guère changé. Artiste intégral, à la maîtrise visuelle et sonore implacable, affranchi des préoccupations du marché, peu réceptif aux enjeux politiques (il ne parle jamais de George W. Bush, de la guerre en Irak...), Lynch est le défenseur de la seule cause qui vaille à ses yeux, la méditation transcendantale, qu'il pratique activement, paraît-il plusieurs heures par jour, entouré de toutes sortes de gourous illuminés. Il reste indéniablement l'un des types les plus classe qui se puisse croiser dans le cinémonde professionnel international, pas seulement parce qu'il est bien habillé. Et, même si se chercher des héros dans la vie peut sembler un sport vaguement ridicule, avec lui, on a l'impression qu'on en tient un depuis toujours et que, en plus, il ne nous décevra jamais.
Insondable. La preuve ? Cet opus 2007 magistral, le jumeau numérique et bilingue (anglo-polonais) du coup d'essai 77 noir et blanc, INLAND EMPIRE, odyssée de trois heures à couper le souffle. C'est à la fois pour Lynch une tentative de récapitulatif poétique, un essai sur la représentation, un seppuku commercial, un site expérimental de destruction atomique, un haut-fourneau formel crachant sur le spectateur hébété ses fumées brûlantes et des bouts de cervelle en fusion... L'EMPIRE INTERIEUR arpenté par le cinéaste est une sorte de Xanadu aux ténèbres insondables, creusées de galeries, saturées d'échos, de battements de coeur et de claquements de doigts, avec des créatures, hideuses ou ravissantes, qui complotent, attendent, dansent, pleurent, dorment, souffrent dans des pièces impossibles à localiser les unes par rapport aux autres. La même fenêtre ouvre successivement sur un jardin de campagne ou un plateau de cinéma, un couloir débouche brutalement dans la neige d'une ville de l'Est à une époque lointaine ou à Los Angeles aujourd'hui, sur Hollywood Boulevard. On ne sait plus faire la différence entre l'avant et l'après, l'ici et l'ailleurs. Pourtant, il serait faux de dire que le film est livré au seul arbitraire d'un démiurge ivre de maîtrise. Ce qui frappe au contraire, c'est la volonté de Lynch de raconter quelque chose, de suivre un fil quand bien même la pelote n'est plus qu'un paquet de noeuds.
Le personnage principal de l'histoire est actrice et s'appelle Nikki Grace (Laura Dern, sublime). Elle vient d'être contactée pour un nouveau rôle dans un film, On High in Blue Tomorrows, que doit diriger Kingsley Stewart (Jeremy Irons). Nikki a pour partenaire le séducteur gominé, marié et père de famille, Devon Berk (Justin Theroux). Au beau milieu des répétitions, Stewart explique à ces deux têtes d'affiche que le scénario, que tout le monde croyait original, est en fait un remake d'un film, inachevé, maudit, dont le tournage a été interrompu suite au meurtre des deux acteurs principaux. Décontenancés par la surprise et la frayeur, ils n'en continuent pas moins l'aventure et, entre Nikki et Devon, les scènes d'amour deviennent de moins en moins simulées. Mais l'attirance érotique commence à sérieusement déboussoler l'actrice qui, épiée par son mari jaloux, ne sait plus quand elle est Nikki Grace et quand elle joue Susan Blue.
Ce trouble de l'identité thème devenu dominant depuis Twin Peaks fait sortir définitivement l'axe du film hors de ses gonds. La femme, l'actrice et ses rôles se mettent à tournoyer si vite qu'on ne peut plus les différencier. Les frontières du simulacre sont systématiquement exhibées (caméra, écrans, applaudissements...), et cependant nul ne peut plus tracer une ligne de partage entre la réalité et la fiction. Les différents niveaux du récit semblent se livrer à une lutte acharnée pour survivre, bégayant des messages en morse, déphasés, tandis que la tour de la Raison vacille, s'effondre et se reconstruit instantanément à l'envers. Le haut devient le bas, les plus beaux rêves sont clochardisés dans le caniveau, et la trajectoire ascensionnelle file à rebours des frondaisons bleues vers le fond du trou, et l'oeil dans la tombe : «Et le visage humain qu'Ovide croyait façonné pour refléter les astres, le voilà qui ne parle plus qu'une expression de férocité folle ou qui se détend dans une espèce de mort.»
Paranoïdes. Cet Empire des frontières abolies entre l'espace concret et l'espace psychique rayonne d'une double puissance : l'ensorcellement morbide et la rédemption thérapeutique. L'impact violent sur les personnages, et nous-mêmes, des situations déconcertantes révèlent les sortilèges démoniaques d'un invisible, d'une doublure du monde, toujours menaçante. Dans le même temps, c'est bien la vie quotidienne que continue d'explorer le cinéaste. Pas les grands délires paranoïdes, pas la folie pure mais la familière étrangeté des expériences sensorielles les plus communes prises dans leur contre-jour ambigu. Les déplacements d'une pièce à l'autre, une lampe posée sur une commode, la perspective d'un escalier, l'hyperréalité hallucinatoire d'une tache de ketchup, les postures du corps, les inflexions de voix, les pulsions sexuelles et leur lien avec la peur, le caractère intrusif des sons, de la musique et leurs interférences avec l'esprit, Lynch, enfant du freudisme et du pop art, ne fait régner le chaos que pour mieux isoler et faire vibrer les ressorts les plus ténus de la conscience. C'est ainsi que, de l'extase à la décomposition, au terme d'un supplice figuratif particulièrement secouant, une joie sans nom se libère et que le film enfonce dans nos têtes en feu la pointe effilée d'une nouvelle lucidité.
Didier PERON
Télérama :
Le cinéaste américain pousse encore plus loin ses explorations mentales. A moins qu’il ne se caricature…
« Une histoire de mystère. Au cœur de ce mystère, une femme amoureuse et en pleine tourmente. » Ainsi David Lynch résume-t-il Inland Empire. Ce qui rappelle Mulholland Drive, précédente réalisation du cinéaste américain. La ressemblance ne s’arrête pas là, et pas seulement avec le film d’avant : en surface, Inland Empire évoque un concentré de la filmographie lynchienne, tant y tournoient les figures et les signes qu’on associe en général à l’auteur de Twin Peaks. Pourtant, mieux vaut être prévenu : profondément, ce nouveau film est moins une œuvre de continuation que de rupture. En tout cas, pas une énième déclinaison de la formule qui a atteint avec Lost Highway, et plus encore avec Mulholland Drive, un degré d’accomplissement éblouissant, peut-être indépassable. Aujourd’hui les êtres et les choses filmés par David Lynch n’ont plus la texture romanesque qu’ils avaient. Ce glamour hollywoodien qui restait chevillé au corps des personnages, jusque dans les pires turpitudes, a complètement déserté, et cela change tout.
Avec les mêmes ingrédients qu’avant, Lynch invente vraiment autre chose. C’est une affaire de photographie – le film est entièrement tourné en numérique, au grain sans pitié –, mais pas seulement. Le cinéaste se dispense cette fois d’installer sa fiction avant de la dérégler : il n’y a presque rien de classiquement narratif à quoi se raccrocher. D’emblée, le quotidien de l’actrice jouée par Laura Dern est irréel de vide, comme son immense demeure à Los Angeles. Les préparatifs de son nouveau film, la jalousie de son mari vis-à-vis de la co-star masculine ont quelque chose de mécanique, de dérisoire. Lorsqu’on apprend que le film en chantier est le remake d’un autre, interrompu autrefois à la suite de la mort de ses interprètes, les quelques repères à peu près rationnels qui balisaient ce début d’histoire s’évanouissent. Le champ est libre pour ce qui fait la spécificité d’Inland Empire : c’est le premier film de Lynch presque entièrement voué à ces images mentales qui lézardaient seulement les précédents opus.
Ces images telles que chacun les forme entre veille et sommeil : volatiles, grotesques, terrifiantes, empreintes d’une signification qu’on est sans cesse au bord de tirer au clair mais qui toujours s’échappe. « Découvrir quelque chose » est un leitmotiv incantatoire dans la voix off de Laura Dern. Inland Empire ressemble à un documentaire sur le flux de pensées et de visions qui traverse le cerveau de son personnage. Tout y passe, la sexualité et l’adultère – sur les modes de l’attraction et de la révulsion –, l’amour lesbien, les envies de meurtre ou de mort, la peur d’être tué. Les hantises lynchiennes déjà repérées sont là : la misère la plus noire au cœur même de Hollywood, l’accoutumance monstrueuse à la souffrance d’autrui qu’elle induit. D’autres obsessions éclatent : de Pologne, où une partie du film a été tournée, Lynch rapporte un aperçu glaçant des mafias et de la prostitution en version « pays de l’Est ». Mais le mode d’exposition de ces angoisses a radicalement changé. Même quand la matière est fantasmagorique, on dirait presque du cinéma-vérité.
D’un bout à l’autre de ce chaos visuel, les images renvoient les unes aux autres, mais il s’agit moins pour nous de résoudre une intrigue (bon courage) que d’assister à une expérience de branchement de synapses humaines sur un projecteur de cinéma. Une telle expérience revient évidemment à mettre en doute la notion de réalité. A un moment, Laura Dern, absolument démente (seize ans après Sailor et Lula), s’égare dans un dédale de couloirs et d’escaliers, et débouche sur le plateau du fameux film en préparation. Elle aperçoit alors les membres de l’équipe du film, elle comprise (!), en plein travail, juste dérangés par un bruit qui, justement, ne peut venir que d’elle, qui « les » regarde. Nous, spectateurs, avons déjà assisté à cette scène, filmée du point de vue de l’équipe du film, déjà intriguée par le bruit mystérieux… Ce genre de haute voltige, à la fois ultra ludique et vertigineuse donne une idée du trip que propose Inland Empire, « empire de l’intérieur » mais cinéma des confins.
Louis GUICHARD
Le Monde :
Inland Empire', c'est la vision de Laura Dern descendant cette rue, à pied." La rue en question serpente dans les collines d'Hollywood, pas très loin de Mulholland Drive. C'est là que David Lynch s'est établi, il y a plus de quinze ans. Au-dessus de Los Angeles, il vit, il travaille à ses films, à sa peinture, à sa musique. "J'étais surpris de la voir arriver, je ne l'avais pas vue depuis longtemps. Elle m'a expliqué qu'elle venait d'emménager dans le quartier et m'a dit "David, il faut que nous fassions quelque chose ensemble"."
Laura Dern et David Lynch ont un long passé commun : pour lui, elle a été l'adolescente blonde idéale de Blue Velvet (1986) avant de devenir la walkyrie de grands chemins dans Sailor et Lula (1990). Mais après Mulholland Drive, David Lynch s'interroge sur la nature même de ses films. Il propose d'abord à son actrice un monologue, qu'il capte à l'aide d'une petite caméra vidéo numérique à basse définition, sans être bien sûr de la destination finale de cet objet : mise en ligne sur son site Internet, installation vidéo...
"Nous avons tourné plusieurs scènes comme ça, explique Laura Dern. Et au bout de quatre ou cinq, il y a eu comme un déclic chez David et il a su ce que serait le film." Engagé en 2003, le processus va durer trois ans, une durée comparable à celle qui fut nécessaire à la gestation du premier long métrage de Lynch, Eraserhead.
"NE RIEN DIRE"
"Quand j'ai su ce que serait le film, je suis allé voir Frédéric Sichler, de Studio Canal, et il a accepté de me suivre", raconte le cinéaste, qui a depuis longtemps renoncé à obtenir quelque appui que ce soit du système hollywoodien. Inland Empire, qui tire son nom d'un quartier de Los Angeles, s'est donc fabriqué d'une façon qui n'a plus qu'un lointain rapport avec un tournage classique. Entre les premiers monologues et la fin des prises de vues, Laura Dern a eu le temps d'avoir un enfant (impossible de le deviner à la vision du film), la petite caméra numérique a tourné pendant des centaines d'heures.
Inland Empire n'a pourtant rien d'une improvisation, d'un fruit des hasards du tournage. Laura Dern ne savait rien du film lorsqu'elle s'est jetée dans ce projet. "Pas plus que ce que j'en sais à la fin", dit-elle en plaisantant. En revanche, David Lynch savait exactement où il allait. Quand on lui dit que la structure du film semble plus lâche, plus ouverte que celle de Mulholland Drive, il répond : "pour moi, c'est une histoire très définie". Mais il ne se départit pas de sa ligne de conduite ("ne rien dire sur un film qui puisse influencer le spectateur") et refuse de donner la définition. Une fois Inland Empire terminé, il a demandé à Laura Dern d'écrire ce qu'elle en avait compris, mais ne lui a pas rendu de corrigé. "J'ai bien vu qu'il y avait des liens avec Mulholland Drive - le personnage de l'actrice, les doubles -, mais il ne m'en a jamais parlé", dit-elle.
Tout au long du film, l'actrice passe d'un personnage à l'autre - une actrice sur le déclin, une femme adultère, la victime d'un complot mystérieux - des figures qui ont toutes en partage la peur et l'incertitude et parfois se confondent dans le même plan. Ces plans ont été saisis par David Lynch lui-même, qui tenait la caméra, petit outil qui inspire au cinéaste une révérence presque absolue - "Je peux faire durer le plan aussi longtemps que je le veux, je peux parler aux acteurs pendant la prise" - au point qu'il n'envisage plus de revenir au support argentique. Pour son interprète, l'intensité de l'expérience a été compensée par la souplesse du plan de travail qui lui a permis de ne jamais s'éloigner de chez elle et surtout par la confiance absolue qui régit ses rapports avec Lynch.
Cette enfant du sérail (elle est la fille de l'acteur Bruce Dern) est bien placée pour le dire : "Il y a tellement peu de réalisateurs qui n'écoutent que leur propre voix."
Chronic'art :
Les empires s'effondrent toujours parce qu'il arrive un moment où le pouvoir, à force de se disperser, de se diffuser en de multiples directions, se dissout et disparaît : invisible, insituable, dépourvu de centre et d'échelle. Il en irait de même d'INLAND EMPIRE si l'empereur Lynch n'avait fixé à son chemin, peut-être avec préméditation, peut-être in extremis, une issue. Il faut bien suivre le film jusqu'à son terme, qui est une scène-générique éblouissante où ça chante, où ça danse dans une lumière retrouvée, un enthousiasme qu'on n'osait pas imaginer au cinéma. Il faut près de trois heures de voyage pour réaliser où va ce film tordu seulement en apparence : vers une joie bouleversante.
Il y a des précautions d'usage à prendre avant d'entrer plus avant dans le film qui, s'il risque de dérouter (surtout après le glamour de Mulholland drive), s'expose davantage à un malentendu qui poursuit Lynch et qu'entretiennent aussi bien ses admirateurs que ses détracteurs. INLAND EMPIRE peut rebuter parce qu'il semble incompréhensible et par conséquent suspect de n'avoir aucun sens. Or, s'il est inutile d'espérer tout comprendre, parce que c'est impossible même si plusieurs visions du film aident à y voir plus clair, il serait encore plus dommageable d'en rester à cette impression. Ne voir dans le film que le délire d'un démiurge tout puissant, c'est envoyer directement Lynch au musée. Soyons à l'heure : on sait depuis longtemps que le cinéma le plus en avance sur son temps n'est pas celui qui se débarrasse de la question du récit, mais au contraire celui qui sans cesse la remet sur le métier. Exactement ce que fait Lynch, y compris avec INLAND EMPIRE, qui continue son cinéma par d'autres moyens, et ne s'intéresse à rien d'autre qu'à la possibilité de raconter une histoire.
Il y a dans INLAND EMPIRE, comme dans tous les autres films de Lynch, une histoire. Une histoire qui se termine bien, d'ailleurs, avec ce happy end en chanson. Ce qui rend difficile sa compréhension, c'est que les embrayeurs narratifs sont moins des événements que les états affectifs qui s'accouplent à eux. Souvenons-nous de Mulholland drive, et de la scène du snack, où un homme est foudroyé par la peur d'un visage qu'il a vu en rêve. L'homme est mort de peur, et le monstre du snack est accroché à cette peur. Il y avait exactement la même idée dans la série Twin peaks : un personnage meurt sans autre cause que la peur, et alors apparaît Bob, la figure du mal, sans raison logique, sinon qu'il a flairé la terreur. C'est la loi du monde lynchien, cette capacité des affects à conduire le récit, à susciter des événements, plus que l'inverse. De même que Twin oeaks et l'inceste, que Lost highway et l'impuissance, que Mulholland drive et l'échec (amoureux et artistique), c'est une peur qui fait s'ébranler l'empire du nouveau Lynch.
Laquelle ? Ecoutons l'inquiétante Pythie interprétée par Grace Zabriskie qui après le prologue vient en nouvelle voisine rendre visite à l'actrice Nikki Grace (Laura Dern) : elle lui annonce qu'elle va jouer un rôle dans un film sur le mariage. INLAND EMPIRE est donc un film sur le mariage : Nikki Grace est une actrice mariée qui joue dans un film aux côtés d'un acteur (Justin Theroux) et se trouve virtuellement tentée par l'adultère. Dans le scénario qu'ils interprètent, c'est précisément ce qui arrive : le personnage Sue trompe son mari avec Billy. Ailleurs dans la géographie multidimensionnelle de l'empire, une femme raconte qu'elle a traversé une période douloureuse après la mort de son enfant ; ailleurs encore une femme trompée veut se venger et tuer sa rivale avec un tournevis ; ailleurs toujours, la femme dont INLAND EMPIRE raconte l'histoire, annonce à son mari qu'elle est enceinte, or celui-ci lui révèle qu'il est stérile, etc. Une multitude de scènes s'enchâssent dans des mondes qui se distinguent par la texture de l'image ou le lieu de l'action (Hollywood ou la Pologne), et toutes racontent la même chose : la peur de voir un mariage voler en éclat, par l'adultère ou la mort d'un enfant. C'est donc l'histoire d'une femme qui souffre. Mais on n'est pas chez Lars von Trier : aucun fanatisme du calvaire ici, puisque, in fine, le film s'achève presque classiquement sur une réconciliation, la reconstitution d'une unité perdue. L'enfant revient, la famille se retrouve, la femme embrasse son double polonais et disparaît, on chante et on danse.
Il faut traverser un empire sombre pour en arriver là. Il faut surtout, comme dans tous les films de Lynch, tuer le monstre, l'incarnation du mal. Plus discret qu'ailleurs, un méchant traque ici l'héroïne et, comme les autres méchants lynchiens, il est agressif et impatient : c'est le Fantôme, cet homme que l'on voit au début du film, en Pologne, réclamer un accès. Comme Bob dans Twin Peaks, il veut entrer, il piaffe d'impatience, il veut faire du mal. Dans l'empire, il est à l'aise, il peut se glisser partout tant que l'héroïne a peur, puisque la terreur est la clé qui permet de passer d'un monde à l'autre, de poursuivre la femme d'un studio hollywoodien à une rue polonaise. Contrairement à la fin terrible de la série Twin Peaks, où Bob trouve le moyen d'entrer dans le monde idyllique et soap-opératique de Twin Peaks pour y répandre la désolation, INLAND EMPIRE est un film optimiste : la femme tue le monstre, le cauchemar s'achève et le film peut se terminer dans la joie. Il faut mesurer ce que cela signifie pour le spectateur, comment ce dénouement miraculeux le récompense du soutien qu'il a accordé, tout au long du voyage, à l'héroïne. Que le visiteur de l'empire, inquiété par les plis sinueux du relief, ne se sente pas isolé : chez Lynch, on ne souffre pas pour rien, sûrement pas pour le plaisir. Nul autisme de sa part. Les femmes pleurent, mais on les soutient ; et s'il arrive que l'on se sente perdu, ne pas oublier que Lynch tient fermement la boussole. Ce n'est pas un film doloriste ou inhabité, mais un récit plein d'espoir et de vitalité où l'on apprend à vaincre la peur.
Jean-Philippe TESSE
Les Cahiers du Cinéma :
Devant ce grand empire du tourment, il y a deux manières de botter en touche. La première serait de le réduire à une expérience audiovisuelle, impressionnante, indiscutable, où, pour caricaturer, « c’est génial parce qu’on n’y comprend rien ». A ce compte-là on range vite le film dans les arts plastiques : catégorie « installation » si on s’attache au choix décidé de la DV et au mode de filmage (en partie) artisanal ; catégorie « art brut » si on se fie au récit schizophrène avançant par rallonges successives. La seconde serait à l’inverse de plonger à pieds joints dans l’affolement des signes qu’un tel film implique et de donner foi à ce jeu auquel se livre joyeusement le maître de cérémonie. C’est le désir tout aussi illusoire de tout comprendre de la conspiration. Une comédienne s’embarque dans le tournage d’un remake d’un film maudit, et se retrouve perdue dans un monde peuplé de cauchemars ; l’herméneute ne sait plus où donner de la tête entre des Polonais au visage gommé (eraserheads ?), des comédiens de sitcom à masque de lapin et une Laura Dern impériale qui compte plus de bobines que le film. Entre le visiteur et le détective, il doit bien y avoir une place pour le spectateur.
Il faut prendre David Lynch au sérieux lorsqu’il prétend raconter une histoire, même si, sphinx, il précise juste : « L’histoire d’une femme qui a des ennuis. » Une femme perdue qui voit les mondes s’effriter sous ses doigts et ne cesse de demander aux passants : « M’avez-vous déjà vue ? » afin de s’assurer de sa propre réalité. Une super-héroïne malade qui peut d’un claquement de doigts se retrouver à faire un barbecue à Lodz au milieu d’acrobates ou tomber éventrée au milieu des tapins sur Hollywood Boulevard. C’est l’histoire littérale d’un effondrement, tout autant que les deuxièmes parties de Lost Highway et de Mulholland Drive, sauf qu’ici le film tremble de bout en bout.A la deuxième vision, surprend la consistance de cet effritement. La psychose n’est pas prétexte au capharnaüm, au grand déballage, Lynch ne donne pas l’impression de tâtonner, il sait où il va.
L’effondrement n’est qu’une conséquence, il faut remonter à la source. Tous les films de Lynch racontent l’histoire intime d’une hantise : naissance d’un enfant (Eraserhead), inceste (Twin Peaks), rupture (Mulholland Drive). Ces hantises, qui ont toujours trait au couple ou à la famille, ne sont pas des prétextes à délire, mais des moteurs à fiction qui imposent la logique particulière de chaque film. L’effondrement est le terrain de jeu de la hantise devenue reine, soumettant l’ordre du monde à ses scènes de terreur et à ses démons grimaçants. A l’origine, il y a donc la peur d’un désastre. La tension extrême naît de la lutte contre le désastre (le personnage lynchien se débat) avec pour souci principal : comment vivre avec la peur ? comment supporter l’insupportable ?
Quelle hantise occupe INLAND EMPIRE ? Il faut écouter la messagère, Lynch est du genre cartes sur table : la voisine excentrique qui s’invite chez Nikki Grace pour lui annoncer qu’elle a obtenu un nouveau rôle (extraordinaire Grace Zabriskie, jadis mère éplorée de Laura Palmer) demande tout de go : « Is it about marriage ? » Un film sur le mariage, Lost Highway l’était déjà, sur l’insatisfaction (sentimentale et sexuelle), le désamour jusqu’à la haine. Inland porte, lui, sur l’adultère et en fait tourner les fruits dans un vertige : la séduction, le sexe facile, la trahison, la culpabilité, la dépréciation (jusqu’à la prostitution), la jalousie, la vengeance, l’enfant adultérin, la famille recomposée, autant d’obsessions déployées en scènes déconnectées qui, reliées entre elles par les chaînes conjugales, forment l’empire.
Les fruits de l’adultère sont principalement des affects qu’il va s’agir de distribuer. La grande nouveauté d’Inland est de les distribuer sur différentes strates qui ne se rejoignent pas et qui figurent différents possibles (fantômes, fantasmes, fantaisies) que la hantise suscite. C’était la beauté de la dernière demi-heure de Mulholland Drive, de ne répondre qu’aux mouvements de panique d’une femme délaissée imaginant les situations les plus pathétiques ; ici il faut écouter Lynch quand il affirme qu’il faut « pénétrer dans la profondeur de l’histoire ».A savoir : ne pas faire se succéder les scènes et situations provoquées par l’adultère dans une histoire particulière, mais les superposer en autant de scénarios développant des possibles de l’adultère. Le récit est construit sur des personnages étrangers rassemblés par une même terreur.
La femme mariée connaît au moins quatre variantes.
1. Nikki Grace, comédienne, est tentée de flirter avec son partenaire, Devon ; à les voir, tout le monde a cette question à la bouche, au show TV, dans les coulisses, sur le plateau : vont-ils coucher ensemble ?
2. Sue, le personnage interprété par Nikki Grace, trompe son mari avec Billy, un homme marié qui a des enfants, joué par Devon. C’est de dupliquer sa vie, de jouer ce qu’elle redoute d’éprouver qui fait basculer Nikki de l’autre côté.
3. Une femme anonyme dans un interrogatoire (toujours Laura Dern) raconte sa vie et la perte de son garçon : « Après la mort de mon enfant, j’ai traversé un moment difficile. »
4. Chapeautant le tout, une Polonaise brune (Karolina Gruszka) assiste aux calvaires de Laura Dern devant sa TV ; sa vie de couple semble compromise, elle a appris à son mari qu’elle était enceinte sans savoir que celui-ci était stérile. Le cocu est joué de part et d’autre par le même acteur (Peter J. Lucas) qui incarne l’attachement conjugal jusqu’à l’emprisonnement : intimidant, puissant,presque géant à Hollywood,minable en Pologne. Mais c’est l’autre cocu, la femme du scénario n°2, Doris, l’épouse de Billy, qui franchit d’un bond les mondes, prend le tournevis et se fait justice.
Ces strates restent côte à côte, il est impossible de les réduire à une même trame, chacune a un rôle à jouer dans le défilé adultérin. Liberté de Lynch : le récit ne trie pas les idées que la hantise engendre, chacune est accueillie à bras ouverts et provoque une petite fiction au sein de l’histoire. Il y a souvent un malentendu : ce cinéma ne défie pas la compréhension, mais l’exhaustivité de la compréhension. On ne comprend pas tout, d’une part parce que l’histoire est émaillée d’indices et de gags auxquels le cinéaste trouvera toujours une petite place pour nous divertir (aux deux sens) de l’histoire ; et d’autre part parce que chaque affect avance fièrement avec un halo de possibles autour de lui, de la même manière que Nikki avance avec une ronde de personnages autour d’elle. C’est la théorie des mondes parallèles : dans un monde le mari met en garde contre l’adultère, dans un autre il en est témoin, dans un troisième il apprend qu’il est cocu, dans un quatrième il tue, dans un cinquième il accepte l’enfant du péché, etc. C’est ce que raconte INLAND EMPIRE, les possibles de l’affect. C’est ce qui provoque cette grande compassion : il faut prendre ensemble ces femmes et leurs malheurs, pleurer le cortège d’étrangères qui sans se connaître traversent le même drame.
Compassion, et pourtant sécheresse : dans cet empire mat et coupant on tue à coup de tournevis. Mulholland Drive était si glamour, le lyrisme saphique révélant la hantise romantique de perdre l’objet de son amour. Ici le comédien avec qui flirte Nikki Grace est un cabotin aussi pathétique que le cinéaste de Mulholland (joué par le même acteur drôlissime, Justin Theroux). Ce n’est plus le coup de foudre qui précipite le désastre, juste un flirt misérable, prévisible, programmé, et une scène de sexe sous les draps, avec le mari qui rôde dans la chambre. Un bon coup, c’est tout. Sordide INLAND, aussi sec que Mulholland était sexe et mouillé.
Sécheresse aussi de cette image DV basse-définition, ne craignant ni le flou ni l’acide, qui achève de décomposer le monde du dedans. La lumière franche, blême, blanche, blesse le visage ecchymosé de Nikki. Froideur, grisaille polonaise, chambres nues où l’on déshabille les prostituées, rues neigeuses où racolent des femmes du début du siècle. Le réalisme accru débouche sur une sortie en plein air, sur Hollywood Boulevard, dans une scène stupéfiante d’agonie. Les strates trouvent un lieu de rencontre, ici et maintenant, sur un bout de trottoir, entre une SDF noire et une Asiatique bavarde, indifférentes à la tragédie qui a lieu sous leurs yeux. On entend les bruits de la rue, l’oeuvre ne s’était jamais ouverte à ce naturalisme.
C’est à croire que la plasticité de la DV permet davantage au cinéaste d’emboîter les mondes, comme si une même couleur déteignait partout et rendait les frontières indiscernables. Dans ce brouillage, les espaces-sas prennent de l’ampleur, espaces intermédiaires où le personnage débarrassé de son nom (ni Nikki ni Sue) s’assoit et pense ou parle. C’est le bureau de l’inspecteur où une femme raconte sa vie devant un visage impassible aux lunettes délicieusement de travers ; dans un autre bureau face à un autre inspecteur, la cocue vient montrer l’arme du crime qu’elle n’a pas encore entre les mains, mais tuer la démange tellement que l’arme est déjà plantée dans son flanc. C’est la chambre où Laura Dern se repose et réfléchit : des troupes de filles, starlettes du XXIe siècle, papotent et dansent autour d’elle. La souplesse du tournage en DV permet d’inventer ces moments de vide, où le personnage anonyme, juste une femme qui a peur, se recueille sur un sofa ou court en hurlant dans un chemin de terre.
Où va ce chemin ? Où mène cette traversée ? A l’inverse de Lost Highway où la voiture tourne sans fin dans la nuit, et de Mulholland, où le lit attend depuis le début le cadavre de la star, INLAND mène quelque part. Comme dans Une histoire vraie, où il faut traverser des milliers et des milliers de kilomètres pour rejoindre le frère, il faut que la raison vacille pour retrouver enfin le fils. Car d’une femme à l’autre, l’histoire est hantée par l’enfant : l’enfant mort qui provoque la dépression de la mère, l’enfant de l’adultère qui provoque sa disgrâce. Lorsque le garçon paraît, avec le père, lorsque la famille est reconstituée, le film peut se terminer. Les trois heures de calvaire étaient en fait un travail, un immense travail de deuil ou de pardon, pour faire réapparaître un fils, le signe de la réconciliation.
La superposition de strates provoque pour le coup un tragique particulier. Les retrouvailles ont lieu pour la Polonaise, elle qui a ouvert le bal, pleurant à chaudes larmes devant un écran TV au spectacle hollywoodien de Nikki en perdition, et qui le referme ensuite, lorsque l’Américaine entre dans sa chambre, l’embrasse et disparaît. Il y a une forme d’injustice à ce que tous les avatars sacrifiés de Laura Dern restent dans les limbes.Que deviennent-ils une fois qu’ils ne servent plus ? Que devient la comédienne une fois qu’elle quitte son rôle ? Après l’apparition de l’enfant, Lynch reste magnifiquement sur Nikki Grace hagarde, comme une âme en peine, carcasse vide qui a accompli son travail de petit soldat.
Son rôle aura donc été d’incarner le courage, et de débusquer la peur. Si elle semble perdue dans des couloirs à n’en plus finir, c’est qu’il faut creuser profond pour dénicher la bête. La bête, c’est le « Fantôme », qui se fait beaucoup plus discret que les démons ricanants traversant les mondes de Twin Peaks (Bob) et Lost Highway (le Mystery Man blafard) ; il est logique que les démons deviennent inutiles à mesure que les mondes s’avèrent de plus en plus perméables. On le découvre tressautant (« Je cherche un accès ! ») comme Méphisto parlant à Dieu au début de Faust. Le diablotin revient en homme de cirque, hypnotisant vaguement les gens et déposant le tournevis dans la main de la tueuse. Mais c’est lui et lui seul que la femme mariée va dénicher au bout du voyage, chambre 47. Sa mort effrayante et lente fait tomber un masque de carnaval purement symbolique ; comme les autres démons, il n’était qu’une incarnation de la peur. C’était déjà le sens de la série Twin Peaks (Bob se répand à mesure que la peur augmente) ou de la scène glaçante de Mulholland Drive où la peur d’un monstre tapi derrière un café tuait littéralement celui qui s’en approchait. Toute l’oeuvre du cinéaste, par ailleurs méditant impénitent, se pose cette question : comment cesser d’avoir peur ?
C’est une grande joie, que le film se termine non par la peur mais dans l’allégresse, au son d’une chanson sur le péché, « Sinnerman » de Nina Simone. Comment rester de marbre devant ce gros plan de Laura Dern fixant la caméra alors que la chanson supplie « Don’t you know that I need you ? » ? Un vertige nous prend un instant, alors que Ben Harper, le mari, dans la vie, de Laura Dern, joue du piano dans le fond de la pièce.Tentation d’adultère ou pas, sécheresse ou pas, il y a bien une histoire d’amour fou dans INLAND EMPIRE, mais elle est de l’autre côté de l’écran, entre le cinéaste et son actrice.
Stéphane DELORME
AVOIR ALIRE :
Labyrinthique et torturée, la nouvelle cathédrale filmique de Lynch menace à tout moment de s'effondrer. Si elle tient debout, c'est uniquement grâce à la complicité du spectateur, plus que jamais invité à se perdre dans l'univers du cinéaste.
L'argument : Niki, actrice américaine, participe au dernier film de l’énigmatique Kingsley. Une fois le tournage commencé, elle apprend que l'oeuvre est maudite. Rapidement, Niki perd pied avec la réalité.
Notre avis : A peine remis de Mulholland Drive, les cinéphiles exégètes vont maintenant devoir compter avec INLAND EMPIRE. Poursuivant son exploration torturée de la psyché humaine, le système Lynch semble y atteindre son point de rupture, se consumant dans un gigantesque feu d'artifice psychanalytique.
Pour un film aussi long (presque trois heures, la durée du métrage étant susceptible de changer d'ici à la sortie officielle), tout semble aller très vite. L'implosion narrative, désormais marque de fabrique du cinéaste, ne se fait pas attendre. Une petite heure, à peine, et tout fout le camp. Laura Dern, superbe Alice, s'égare dans un pays d'ombres et de miroirs. Qui ne renvoient que le reflet de notre propre confusion. Jamais le cinéma de Lynch ne s’est autant rapproché du cauchemar, obscur, allégorique et électrifiant. Une pesanteur renforcée par l'utilisation de caméras digitales apportant à l’image une tessiture unique et inquiétante. Délaissant partiellement Los Angeles pour les rues désertiques de Pologne, le cinéaste s'amuse avec ses joujoux technologiques, se lâche, nous entraîne, nous perd.
Car voilà, INLAND EMPIRE n’a pas la rigueur géométrique d’un Lost highway ou d’un Mulholland drive. Les images et les situations ne sont pas aussi léchées, iconiques. Ce n’est d’ailleurs pas le but de ce melting-pot anxiogène contaminé par tout (à commencer par lui-même), qui se propose de revenir aux origines, profondément viscérales, de Eraserhead. Il n’en est pas pour autant une déception. Il a cette audace des films qui s’avancent nu, débarrassés des oripeaux esthétiques pour s’offrir tout entier à l’appréciation du spectateur. Lynch s’en amuse quand il s’agit de se complaire dans des gros plans d’une absolue grossièreté ou bien d’illuminer son plateau comme un telenovelas. Ces fautes de goût, évidemment volontaires, apportent au film un surcroît de réalité tout à fait terrifiant. Il faut voir Lynch filmer la faune nocturne de Hollywood Boulevard pour comprendre la rupture qui s’est opérée dans son œuvre. Work in progress bouillonnant et organique, INLAND EMPIRE fascine autant qu’il irrite. Peut-être pas le chef-d’œuvre attendu, plutôt une sorte de home movie ultime, excroissance impensable du cinéma américain.
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