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SPIDER



Fiche technique :
Film américain de David CRONENBERG
Année : 2001
Avec Ralph FIENNES (Spider), Bradley HALL (Spider enfant), Gabriel BYRNE (Bill Cleg), Miranda RICARDSON (Mrs. Cleg / Yvonne / Mrs. Wilkinson), Lynn REDGRAVE (Mrs. Wilkinson), John NEVILLE (Terrence), Gary REINEKE (Freddy), Philip CRAIG (John), Cliff SAUNDERS (Bob), Sara STOCKBRIDGE (Gladys), Arthur WHYBROW (Ernie), Jake NIGHTINGALE.
Scénario : Patrick McGRATH, David CRONENBERG d'après l'oeuvre de Patrick McGRATH
Photographie: Peter SUSCHITZKY
Musique : Howard SHORE
Montage : Ronald SANDERS
Décors : Andrew SANDERS
Costumes : Denise CRONENBERG
Durée : 98 mn
Genre : Thriller
Titre français : Spider

L'histoire :
Après plusieurs années d'internement psychiatrique, un jeune homme, surnommé Spider, est transféré en foyer de réinsertion dans les faubourgs de l'est londonien. C'est à quelques rues de là qu'enfant, il a vécu le drame qui a brisé sa vie. Il n'avait pas encore douze ans, lorsque son père a tué sa mère pour la remplacer par une prostituée dont il était tombé amoureux. De retour sur les lieux du crime, Spider replonge peu à peu dans ses souvenirs et mène une étrange enquête.

Critique :
Au moment des bilans, retour mérité sur un des films de l'année. Ne ratez surtout pas le nouvel opus de David Cronenberg, une merveille de subtilité en milieu moisi. Quand l'âme joue des tours au corps, ou inversement, c'est l'univers entier qui chavire sous nos yeux. Mais sont-ils assez ouverts ?
Spider est un homme d'une trentaine d'années, un névrotique qui sort juste d'un asile où il était entré dès l'enfance, traumatisé par la mort de sa mère, assassinée par son mari qui la remplaça au pied levé par une hideuse prostituée. Spider rejoint une pension de la banlieue ouvrière de Londres, celle-là même où il passa son enfance.
Immanquablement, des souvenirs vont bientôt l'envahir, et révéler l'impensable. Lorsqu'on le découvre pour la première fois, Spider descend d'un train, dont l'arrivée en gare rappelle fortement celle des frères Lumière. Dans ce premier plan, Cronenberg tend un premier fil, une ligne de fuite : Spider est un voyage, le retour en arrière d'un homme vers son enfance, et celui d'un film vers ses origines : le document investi d'un regard. Mystérieusement, la promotion du film a véhiculé l'idée d'une enquête que mènerait Spider pour comprendre ce qui l'a rendu "fou" dans son enfance. Idée improbable, en parfait contresens du film. Si les souvenirs de son enfance reviennent à la surface de l'esprit de Spider, il ne saurait s'agir d'une recherche délibérée, mais bien plutôt de réminiscences, dont on sait bien depuis Proust qu'elles n'ont rien de volontaire ou de recherché. Ainsi, Spider est littéralement saisi, hanté par des fantômes de son passé, dont celui, hermétique, de lui-même enfant. Lui-même, ou peut-être bien un autre, puisqu'à l'instar de nombreux films de Cronenberg, le rapport au corps pose problème (comme nous le rappelait Troudair dans un récent forum). La brillante idée du film consiste à avoir, lors des scènes d'enfance remémorée, fait cohabiter dans la même image les deux corps de Spider : l'enfant et l'adulte. L'effet obtenu est des plus troublants. Succédant aux nombreuses excroissances corporelles plus ou moins hideuses qui peuplent l'univers de Cronenberg, cet enfant blond et silencieux a quelques chose de gênant, d'angoissant. Et le malaise ne fait que croître, jusqu'à la révélation finale : c'est lui qui a tué sa propre mère, qui s'était transformée à ses yeux en pute après qu'il eut assisté aux ébats de ses parents dans une cabane.
Bien sûr, on reconnaît là un schéma freudien classique, qui veut que l'enfant, refusant à sa mère le droit d'être en dehors de lui, la transforme en monstre lorsqu'elle est avec d'autres. La mère a donc au moins deux visages pour l'enfant. Cronenberg, qui connaît bien son petit Freud illustré, souligne le double maternel en employant la même actrice pour les deux rôles (la grande Miranda Richardson, qui n'aurait pas volé un prix d'interprétation à Cannes), et il est amusant de constater à quel point la performance est magnifique : un bonne partie du public ne s'aperçoit de la subtilité qu'aux trois quarts du film, ou pas du tout. Un petit jeu qui ne doit pas réduire le film à une simple application théorique. Cronenberg choisit de clore son récit, de lui donner une explication psychologiquement rationnelle, mais cela ne réduit en aucune mesure le mystère. Peut-être le rend-il même bien plus complexe. En effet, si la question du meurtre de la mère, qui n'a par ailleurs jamais été posée, est bel et bien résolue, il en subsiste bien d'autres, plus subtiles et profondes.
Tout d'abord, on oublie souvent de noter que la "double" performance de Miranda Richardson est en fait triple, puisqu'elle apparaît aussi au Spider adulte sous les traits de la surveillante de la pension, Mme Wilkinson. Cette multiplication du double originel vient nous rappeler que Spider n'est pas la simple vision fantasmée d'un enfant, mais bien celle de l'adulte Spider (le génial Ralph Fiennes). Car, si le nœud freudien est un peu la grosse corde du film, les rapports entre la psyché de l'enfant et celle de l'adulte tissent une toile bien plus vaste et troublante, le véritable cœur du film. Ce qui pose problème n'est pas tant ce qui est arrivé à la mère mais la nature même des visions qui envahissent Spider adulte. Tel un film d'extra-terrestres, Spider pose un corps en train de se faire déposséder. A la fin, lorsque Spider quitte la pension, c'est bien l'enfant que l'on voit dans la voiture, pas l'adulte. L'extra-terrestre, ici, c'est cet enfant meurtrier, qui réapparaît progressivement, s'approprie les plans jusqu'à en chasser l'autre.
Dès son arrivée dans la pension, et sans que l'on s'en rende compte, le processus de "mutation" (pour utiliser un terme cronenbergien) commence. Spider adulte refait automatiquement le geste qu'il avait enfant : il tisse une toile en corde dans sa chambre. Lorsqu'il prend un bain, il se prostre en position fœtale... On pourrait reprocher au réalisateur d'en avoir trop fait tant, dans la pension, les signes de rapprochement homme/enfant sont évidents. Heureusement, dans les nombreuses scènes de visions, Cronenberg fait preuve d'une toute autre subtilité, brouillant pour notre plus grand plaisir les indices permettant d'établir leurs origines. Sont-ce les souvenirs "réels" ou bien des visions qu'avait l'enfant à l'époque ? ou bien les souvenir qu'en garde l'adulte ? ou encore l'idée actuelle qu'il s'en fait ? Comme on met un certain temps à comprendre que l'esprit même de l'enfant est aussi troublé, l'ambiguïté ne fait que s'accroître au fur et a mesure. Ainsi, Spider adulte voit-il sa "bonne" mère aller à la cabane où se retrouvent le père et la pute, les découvrir et se faire assassiner. Est-ce une vision qu'il a eu étant enfant, ou doit-on supposer que l'adulte se projette dans le corps de sa mère aimante pour mieux masquer l'enfant qui a réellement fait ce trajet, suivant ses parents dans la cabane, assistant à leur ébats, ce qui " tua " à jamais l'image de sa mère ? Si cette solution paraît probable, elle renvoie à la schizophrénie de Spider, adulte et enfant confondus, puisqu'ils ne semblent s'être jamais séparés, et la rend d'autant plus fascinante.
Elles-mêmes prises au piège dans une somptueuse reconstitution des faubourgs londoniens des années 50, avec ses lumières blafardes, et ses murs décrépis, les visions de Spider (mais lequel ?) donnent physiquement le sentiment de tisser leur toile sous nos yeux, troublant tous nos a priori, remettant chacune de ses images en question. Un tel film appelle forcément à la re-vision, il nous hante. Le meilleur film de fantôme de l'année, en somme.

Laurence REYMOND (Fluctuat.net)

 

Avez-vous déjà passé le test de Rorschach ? C'est une "épreuve" psy inventée dans les années 20, une série de taches d'encre obtenues par pliure à interpréter librement. Ces taches défilent en toile de fond du générique d'ouverture. C'est une juste entrée en matière, presque un avertissement. Parce que le héros du film sort de x années d'internement psychiatrique. Parce que ces taches évoquent de misérables insectes épinglés ventre à l'air. Mais, surtout, parce qu'elles annoncent une redoutable impasse : à partir de tels dessins, on peut imaginer et projeter ce qu'on veut, se perdre en hypothèses, il n'y aura jamais de vérité objective, de réponse exacte et rassurante inscrite en bas à l'envers. Malgré son titre, Spider ("Araignée") n'est pas un film cousin de La Mouche ni de ceux, spectaculaires, qui ont fait la renommée de Cronenberg, de Videodrome à eXistenZ. Et en même temps, si. Le vocabulaire habituel ­ déréalisant, monstrueux, angoissant, etc. ­ est toujours de mise, mais à condition de considérer que la folie « ordinaire » d'un seul homme équivaut à tous les effets spéciaux du monde.
Cet homme, Spider, revient dans les faubourgs de l'Est londonien, après une éternité dont son délabrement physique et psychique donne quelque idée. C'est un pauvre hère grommelant et hagard, toujours le nez dans un carnet de notes indéchiffrable qu'il alimente par saccades. Une fois installé dans un centre de réinsertion, il retrouve, à quelques rues, la maison de son enfance, le jardin ouvrier et le dédale de souvenirs qui va avec. Des souvenirs ou des hallucinations ? Spider se revoit à l'âge de 12 ans entre papa et maman, le premier jamais très loin du pub voisin et de ses putes, elle, gracieuse et aimante, une sainte. Puis tout se brouille et se diffracte en variantes déréglées du même passé. Papa a-t-il trompé maman ? L'a-t-il tuée pour la remplacer par une pouffiasse à la maison ? Maman était-elle une pouffiasse ? Spider a-t-il couché avec maman ? Pire ?
Au coeur de ce mystère schizo, on distingue sans peine la "scène primitive" de Freud : le rapport sexuel entre les parents vu ou fantasmé par l'enfant, et interprété comme un acte de barbarie. « Spider, c'est moi », a pu dire Cronenberg. Spider, c'est tout le monde, à ce détail près que le personnage, peut-être trop humain, n'est jamais sorti du gouffre ouvert à l'idée de l'animalité de ses géniteurs. On est donc bien chez Cronenberg, cinéaste "organique". Mais bien n'est pas le mot, puisque tout concourt à l'inconfort, voire au découragement. Tout suggère la répétition, l'obsession, la forclusion. Les décors extérieurs sont déserts. Le film est presque monochrome, uniformément marronnasse moisi. Le jeu de Ralph Fiennes (impressionnant, ayant abdiqué toute espèce de beauté) est volontairement monocorde. Miranda Richardson joue tous les rôles féminins ­ pas par hasard ­, maman, putain, patronne du centre de réinsertion. Enfin, le mode de réminiscence est toujours le même : Spider adulte est physiquement présent dans les flash-back successifs, mais en retrait, comme le souffleur résigné de son double enfantin. Cronenberg, qui a adapté le roman homonyme de Patrick McGrath avec ce dernier, a renoncé aux séductions sorcières dont il est coutumier. Il explore de plain-pied et avec respect le malheur sans issue de Spider, bébé araignée resté coincé dans la toile de maman. Peut-être même le cinéaste de Toronto s'est-il senti un peu inhibé devant cette histoire trop vraie, trop proche. Le film, parfois d'une rigidité cadavérique, n'est pas une partie de plaisir ­ le pourrait-il ? ­ mais il communique une certaine force, celle que l'on retire de s'être penché sur des abîmes.

Louis GUICHARD (Télérama)

Découvrez d'autres sites sur Spider :

Ciné-Club de Caen
Film de Culte
Wikipédia




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